Dire et montrer les appartenances multiples
Lorsque Ulysse est de retour à Ithaque, Pénélope lui demande :
« Étranger, qui es-tu ? D'où viens-tu ? Où est ta ville ? Tes parents ? ».
Et Ulysse lui répond : « Interroge-moi sur tout ce qu'il te plaira, cependant ne me demande pas ma naissance et ma patrie : n'augmente pas en mon cœur les souffrances en me forçant à me souvenir de mes maux : j'ai trop de peine ».
Être humain, c'est vivre au présent dans une communauté de vie en portant son passé et son ailleurs. Interroger sur l’origine ne veut pas dire attribuer une étiquette de nationalité, une « rue à enseignes », l’enfer selon Camus. C’est plutôt recueillir la façon dont elle ou il construit son identité, mêlant son « Ici » et son « Ailleurs » réels ou fantasmés. La diversité des situations et des histoires dessine, dans sa répétition, une communauté humaine.

MADELEINE
Je suis fière de mes origines, de mon île
D’où est-ce que je viens ? Je viens d'un Ailleurs qui fait partie du pays de l'Ici.
Quand j’étais très jeune, j’ai voulu quitter mon île pour avoir une vie libre qu’une femme de mon Ailleurs, de ma génération, n’avait pas. Ici, je me sens libre et j’aime cette liberté.
Je ne peux pas dire si je préfère vivre là-bas ou ici. Je me sens autant d’Ici que de là-bas. J’y ai toujours beaucoup de famille, ma mère en particulier, mais je n’y ai pas de maison qui m'appartient comme le petit cocon que je me suis fabriqué ici. Mon Ici est devenu l’endroit où je suis, où j’ai vécu le plus longtemps, où j’ai eu mes enfants, mon travail, où j’ai découvert les choses…
La nostalgie de mon Ailleurs, c’est ma vie en famille, enfant, les bêtises que je faisais à l’école, les amis de mon enfance. Ma nostalgie est surtout enfantine.
Je viens d’une famille divisée par la couleur de la peau. Ma mère était noire, mon père blanc. Nous étions très nombreux, dix-huit enfants ! Nous sommes encore cinq filles et cinq garçons, une très grande famille et cela me manque. J’ai la nostalgie dans mon sang, de mes origines, du lieu d’où je viens.
Je crois que mon Ailleurs est plus chez moi qu’Ici, à Torcy. Mon prénom m’y ramène : je m’appelle Marie-Madeleine, mais on n’utilise que le second là-bas. Quand je dois remplir des documents officiels, je suis obligée d’écrire également Marie, le prénom que ma mère m’a donné. C’est une manière de porter mon Ailleurs, un endroit où les femmes s’appellent toutes Marie.
Je suis fière de mes origines, de mon île, de mon Ailleurs.

REDA
Comme des périphéries de l'ici.
Des valeurs plutôt que des lieux.
Je suis construit par les valeurs. Valeurs d'Ici et d'Ailleurs. L’Ailleurs de ma mère, l'Ailleurs de mon père, qui n’existent plus. Comme des périphéries de l'Ici.
J'ai grandi en périphérie de la ville capitale, du centre, du ventre.
Je suis nourri du brassage, du mélange, du pluriel des géographies des lieux, des géographies sociales. La géographie des langues, de la gastronomie, de la musique et de la religion, m'a enrichi.
Mais ce sont les valeurs construites et transmises qui m'ont fait moi.
Je crois au pouvoir du progrès en l'éducation ; sa protection contre les jugements hâtifs, les étiquettes.
Je crois en la richesse de la diversité.
À mon tour, je transmets ces valeurs.
Lorsque je ne serai plus, on brûlera mon corps, on en répandra les cendres.
Peu m'importe où.
Tant d'endroits m'ont nourri que je ne m'y réduis pas.
Tant de lieux ont nourri ma personne, qui ne la contiennent pas.
Je suis un être humain d'ici … et d'ailleurs.
Je suis un être humain d'ici … et d'ailleurs.
ANNIE FLORE
Un coup de foudre pour mon Ailleurs
mais complètement d'Ici
J'ai fini par ajouter mon nom d'épouse à mon nom dit « de jeune fille » que j’ai gardé, mais il ne m'y réduit pas.
Jeune enseignante, je suis partie enseigner la langue d'Ici dans un Ailleurs à peine né à l'indépendance.
Mon père ne m'a pas transmis sa langue. La langue de mon Ailleurs. C'est un obstacle pour y accéder. J'ai essayé de l'apprendre, je n'y arrive pas. Je ne sais même pas prononcer correctement mon nom.
Mon rapport à mon Ailleurs change avec le temps. Il y a dix ans, j'étais d'Ici, point. Maintenant, je cherche à tisser le lien avec ma famille de là-bas.
Ce qui m'intéresse c'est autant son histoire, sa culture que les rapports entre mes deux lieux, leur complexité. Mon métissage en est le résultat, comme un double lien.
La musique, pour moi c'est très important et, de mon premier voyage au pays de mon ailleurs, j'ai rapporté un instrument de musique comme pour faire le lien.
Je ne transmets pas bien mon histoire d'Ailleurs. Mais je suis complètement d'Ici, de ce pays et de sa ville capitale où je suis née, j'ai fait mes études, j'ai eu mes enfants.
J'aime la langue d'Ici.
Je suis étonnée de l’importance donnée à la différence dans ce pays rare où il y a tant de gens d'Ailleurs multiples. L'administration d'Ici a joué à cache-cache avec ma nationalité comme avec l'âge de mon père.
Parfois mon mari me dit pour rire : « Tu peux aller y vivre ». Non. Je suis très bien Ici, et je n'ai pas réfléchi où je souhaitais être incinérée.
Ce sera plutôt Ici.


DAVID
D’Ici, d’ailleurs, de partout.
C'est compliqué, c'est complexe de se définir par rapport à un « D'où es-tu ? »
Je suis d'Ici. J'ai grandi, je travaille, je vis Ici.
C'est plus facile d'être différent à Paris qu'en province.
En province j'ai parfois été regardé comme d'Ailleurs. À Paris, on prend le RER, on voyage, on ne me regarde pas. Je suis métis. Je le porte en moi comme une richesse. Richesse d'avoir à connaître des cultures différentes, par le partage du goût, des repas ; par le partage de la musique. Celle qu'on joue, celle qu'on danse. Richesse de pouvoir comprendre d'autres, issus d'autre part.
Je voyage, je suis comme un pont entre les représentations des uns, des autres.
Je suis mélangé et ma femme aussi a été baignée de melting-pot.
Je dirai à mon fils aux yeux bleus : « Tu as de la chance, tu auras plein de lieux, plein de maisons de campagne. »
Avec ma femme nous avons choisi de nous marier dans un ailleurs qui n'était pas l'un de nos ailleurs. Je suis un citoyen du monde. Je me sens bien partout.
On rêve de vivre dans un pays chaud, près de la nature.
Peu m'importe où iront mes restes, je donnerai mon corps à la médecine.
THÉLÈME
Je m'appelle Thélème. Je suis d'Ailleurs et d'Ici.
« D'où viens-tu ? » Il n'y a qu'ici qu'on pose cette question.
J'ai arrêté de parler de mes origines. C'est une partie de moi que je ne connais pas.
Ma mère a changé d'île. Elle est venue en Île-de-France où elle a perdu la langue de ses origines. Mon père est d'Ici mais porte un patronyme qui peut faire penser à un Ailleurs. La famille, c'est ce qui me lie à l'Ici et à l'Ailleurs. Si je n'avais pas de famille, je pourrais partir, aller vivre de l'autre côté de la terre.
À 19 ans, j'ai débarqué en métropole, sachant le métropolitain. Mon Ailleurs est en moi, quotidiennement porté par la langue, la musique, la décoration, la nourriture. J'ai des attaches, je garde le lien avec mon Ailleurs que je n’importe pas Ici.
Ici, c'est la pluie, le froid ; Ailleurs, c'est le soleil, le chaud. Chaque année j'espère pouvoir rentrer définitivement, mais je ne vis pas constamment dans la nostalgie de mon Ailleurs.
Je vis pleinement Ici avec la conscience de venir d'Ailleurs. J'en apporte des touches à ma vie. Mon Ici l'est par nécessité. Mon Ailleurs, c'est mon rêve de vie. Si je reste encore dix ans ici, je serai plus d'Ici que d'Ailleurs.
Il ne faut pas renier ses origines, car c'est une force de venir d’Ailleurs, d’avoir un prénom différent.
Je m'appelle Thélème. Je suis d'Ailleurs et d'Ici.


NATHAEL
Je suis blond, j’ai les yeux bleus
Je m'appelle Nathael. Mes parents m'ont appelé comme ça pour ne pas m'appeler comme tout le monde.
Je suis blond, j'ai les yeux bleus et je suis métis d'origine de l'Afrique.
J'ai un peu plus d'un an et demi et je suis le fils de maman et papa. Je porte un peu de leur histoire. Je suis d'Ici. C'est là que je vis avec eux, là que je suis né, là que je vais à l'école, là que je découvre le monde. Je ne sais pas encore qu'il y a, en moi, une part d'Ailleurs. Je ne le sens pas. Pas encore ?
Je sais que mes parents me diront d'où je viens. C'est bien de connaître ses racines. Mes deux parents sont métis. Je suis donc un super métis. Un peu comme un super héros, je serai fort de tous les mélanges. Ma mère, elle va me transmettre ce qu'elle a appris de ses parents et mon père, il va me transmettre ce qu'il a appris de ses parents. Ils feront en sorte que je puisse garder ce lien avec leurs Ailleurs, m'en donner le goût par la langue, la nourriture. Mais je ferai mes choix, c'est moi qui déciderai de me rapprocher plus d'une culture ou de l'autre. J'ai de la chance, j'ai plein de lieux dans le monde auxquels je suis lié.
Ce qu'il y a de bien chez mes grands-parents qui vivent loin, c'est qu'il fait chaud, il y a des animaux partout, la piscine, je peux courir. Ici il pleut, il fait froid.
Je suis encore tout petit mais j'ai déjà beaucoup voyagé. Mes parents ils se sentent du monde entier. Ils voyagent beaucoup. Partout. Ils se sont mariés ailleurs qu'en leur Ici, ailleurs qu'en leurs Ailleurs respectifs. C'était, d'après ma mère, le plus beau mariage qu'elle ait vu.

MARIE-LOUISE
De ci, de là.
Je m'appelle de mon nom de « femme de », mais mon nom véritable est celui de mon origine. Les gens d'Ici n'ont jamais su l'écrire.
J’ai pris la nationalité de mon Ici en entrant à l'école, à trois ans. Aujourd'hui, je veux également reprendre celle de mon Ailleurs, mais la guerre civile détruit certains papiers.
Mon père a combattu, et je combats pour revenir vers lui, vers ce pays d'origine dont je déguste la langue, d’où je suis autant que de mon Ici. Il porte mes souvenirs d'enfance, toute ma famille, la danse, le rire, la fête.
Mon Ailleurs et mon Ici ne viennent pas s'entrechoquer. J’ai choisi la culture de l'Ici ; celle de l’Ailleurs est ancrée en moi.
Mon Ailleurs et mon Ici ne viennent pas s'entrechoquer. J’ai choisi la culture de l'Ici ; celle de l’Ailleurs est ancrée en moi.
Mes parents ont quitté leur pays comme dans tous les exodes : juste le nécessaire sur une charrette. Je porte leur histoire avec toutes les ruptures, les violences d'une guerre civile. Mon père faisait partie de ceux qui combattaient l'avènement de la dictature ; nous avons fêté la mort du dictateur. C'est un engagement qui m'a été transmis.
Je suis allée dans le pays de mon père, marchant là où il avait marché, le voyant petit qui courait partout.
C'est pour ça que j'ai choisi cet objet qui porte le nom de son village.
Ma mère était une femme discrète, mais elle avait du caractère. Elle nous a transmis le lien aux autres, la gentillesse, mais pas le côté « femme au foyer » malgré la culture un peu macho et orgueilleuse de mon père.
Je parle la langue de mon Ailleurs : cela me remplit, ça va, ça vient, comme un pont que je franchis, d’ici, de là.
Il fut un moment où je voulais que mes cendres soient dispersées sur la terre des villages de mon père et de ma mère. Et puis, finalement, non.
MAGOU
Je suis d'un Ailleurs, je suis née Ici
Voilà : je m'appelle Magou, je suis d'un Ailleurs, je suis née ici. J'ai grandi un peu là-bas aussi. À l'âge de 10 ans, mes parents m'ont amenée en Afrique pour connaître tout de là-bas.
J'ai deux nationalités : Ailleurs et Ici.
Ça ne me pose pas de problème et je n’en ai jamais eu : je suis bien. Les chansons, la musique : mon Ailleurs est présent en moi par ça.
Ici, c'est mon pays. Celui où je suis née. C'est le pays de mon enfance, de l'école. On est là, le mari, les enfants, les parents.
Et puis, ici, il y a le travail aussi. Ma vie est Ici en fait.
Mon Ailleurs c'est Le pays. Un petit pays, à l'intérieur d'un plus grand, comme un village. C'est le pays des vacances. Ça fait longtemps que je n'y suis pas allée. On y parle l'anglais, on y parle le soninké. Je parle très bien le soninké. C'est la langue de la maison. Parfois, le français vient tout seul. Le français, c'est plus pour parler des choses d'Ici, le soninké pour parler du pays.
Là-bas, il y a les grands-mères, les tantes, les cousins et les cousines. Toute la famille. Quand on peut, on aide ceux qui sont là-bas. Pour eux c'est la richesse d'être Ici. Pour moi c'est la chance qui a fait ça.
La religion c'est vraiment important. C'est l'origine. C'est une religion qu'on a, qu'on respecte. Je connais plein de gens qui l'ont perdue. C'est pour ça que j'habitue mes enfants.
Je n'ai pas la nostalgie de mon Ailleurs.


ELIF
La langue me le rappelle.
Je dis mon nom, je dis mes filles, mon mari et mon Ailleurs pour me présenter. Je n'oublie pas d'où je viens et d'où viennent mes parents. La langue me le rappelle.
Le lien familial, c'est le lieu de notre « entre-nous », l'endroit de nos origines, l'espace où nous avons nos souvenirs d'enfance et de nos vacances. De ça, j'ai la nostalgie.
Je ne suis pas totalement d'Ici, mais je ne peux pas dire non plus que je suis de mon Ailleurs. Je connais son histoire par mes lectures et par mon père, mais je connais mieux l'histoire d'Ici.
L'Ici, c'est le pays de ma naissance, c'est là où j'ai fait ma vie. C'est là où je travaille, où je mange, le pays des coutumes de mes enfants, là où je vis. Je suis un peu plus d'Ici que de là-bas.
Je transmets mon Ailleurs à mes enfants par la langue. Je dis à mes filles : « Tes parents t'apprennent la langue de leur Ailleurs ». Quand ma grande de six ans est capable de se débrouiller toute seule là-bas, d'acheter un bonbon dans une épicerie, quand elle parle avec sa grand-mère paternelle, je me dis que j'ai réussi.
Par la langue et par la cuisine aussi. Je voudrais que mes filles ne coupent les ponts ni avec mon Ailleurs, leur origine, ni avec notre Ici.
Quant à la religion, je ne suis pas là pour les obliger. Elles choisiront.
Je suis musulmane mais l'important pour moi c'est le respect mutuel des croyances de chacun : se souhaiter les fêtes, partager, c'est ça ce qui fait mon Ici. Je fais le Ramadan, les fêtes religieuses, je ne porte pas le foulard. C'est un choix.
Je ne comprends pas pourquoi on n'accepterait pas que des mamans qui portent le foulard accompagnent les sorties de l'école.
FATIMA
On m'a déposée ici, sous un ciel éteint
Ici, Ailleurs, je suis une étrangère.
On m'a déposée ici, sous un ciel éteint, j'ai atterri en France, il faisait gris, il pleuvait. J'attendais que le jour se lève, c'était l'après-midi, j'avais trois ans et demi. En voyant ma mère, avec ses nouveaux habits, ses petites chaussures pointues, ses collants, son collier de perles et désormais sans foulard, j'ai su que j'avais changé de culture. Ne restait de mon Ailleurs que des disques de chansons et le thé.
Mon père disait : « Nous sommes invités ici. Nous ne sommes pas chez nous ». Il ne fallait pas perdre nos traditions.
À la maison : français interdit ; à l'extérieur : arabe interdit. Il fallait être transparent, réussir mieux que ceux d'Ici. Il a fait changer notre nom de famille pour être plus conforme.
Ma mère s'est tellement conformée qu'elle dit "Merci" en boucle. On l’appelle « madame Merci ».
Le pays d'Ici, je l'aime, sa culture, son histoire. Je m'y sens bien, chez moi. J'ai eu mes filles ici, j'y ai vécu cinquante ans. Mais je ne suis pas d'Ici.
Une musique, une odeur, des souvenirs me ramènent constamment à mon pays d'Ailleurs. Il me manque très souvent. Toujours. Les deux me manquent, l’horizon qui n’est pas le même, les ambiances. Je suis étrangère aussi en mon Ailleurs. Je n'ai pas besoin de parler : à ma démarche on sait que je suis une émigrée. Mais choisir, je ne saurais pas. C'est une grande richesse que d'avoir ces deux appartenances.
À mes filles, j'ai transmis mon Ailleurs par la cuisine.
La théière est là en toute circonstance, moments heureux, malheureux, graves.
Je ne sais pas où je voudrais être enterrée. Je n'en sais rien et peu importe. Je n'arrive pas à me situer, c'est inconscient, et je suis tout le temps dans la justification.

AZIZ
Mes parents ont deux « chez eux »
Je me présente : je dis mon nom, ce qui fait ma vie ici, ma femme, mes enfants, mon travail. Mes origines ne viennent pas tout de suite ; j’en parle si on aborde la question. Je vis positivement avec ces origines.
Mes parents ont deux chez eux. Ils se sont connus Ici, mais ils ont le même Ailleurs. Moi, je suis plus d’Ici que d’Ailleurs.
Mon Ici, c'est là où je suis né, là où j'ai grandi, où j'ai appris la culture, la langue. J'y ai mon travail, ma femme également, notre maison, nos enfants qui vont à l'école. Je n'imagine pas mon avenir Ailleurs. J'ai grandi dans une cité HLM d’une grande mixité : des Ici et des Ailleurs multiples. La vie de tous les jours se passait bien. À l'école, c'était pareil. Je n'ai pas souvenir d'avoir été montré du doigt à cause de mes origines.
Mon Ailleurs, c'est celui de mes origines, celui de mes parents. C'est aussi celui de ma femme. Je n'y ai pas passé beaucoup de temps.
Aller au pays de mon Ailleurs, c'était « rentrer chez mes parents », un Ailleurs de vacances. Mais lorsqu’il surgit dans l'actualité, j'y suis plus sensible que pour d'autres ailleurs.
C'est la langue qui identifie, qui me rapproche le plus de mes origines.
Pourquoi une théière ? Là-bas, on l'utilise tout le temps, c'est l'objet autour duquel le thé est partagé. À ce moment-là, il n'y a pas les hommes d'un côté, les femmes de l'autre comme dans d'autres temps de la vie quotidienne. Tout le monde se rassemble, s'assoit pour discuter, pour échanger, une mixité totale.
Quand je rentre à la maison, je suis content de rentrer chez moi, Ici, le pays où je me sens le mieux. Tout simplement.
C'est ici que je veux être enterré.


HAyËT
100% d'Ici, 100% fière de mon Ailleurs, je vis à 200%
Mon prénom signifie « la vie », et c’est dans mon pays d'Ailleurs, là où la langue dit que je suis la vie, que j'ai commencé à aller mieux quand j’étais gravement malade.
Pour moi, on ne définit pas les personnes par leur couleur et leur origine. Je préfère parler de la grande région dont je viens, c’est cela mon Ailleurs. Je suis une citoyenne du monde. Je me sens d'Ici et fière de mes racines.
Mes parents sont arrivés Ici en 1962 et se sont installés au centre du pays d'ici. Je n'ai découvert la problématique de l'Ailleurs qu'en arrivant à la capitale, en entrant dans le monde du travail.
Mon Ailleurs a deux langues : la langue de l'histoire, et la langue de la géographie. Je suis fière de mes filles qui se servent des deux.
Garder le lien avec la famille, c'est garder le lien avec notre Ailleurs. Chaque année, on passe un temps à rencontrer ceux qui vivent là-bas, et puis un temps pour découvrir la vie si différente, parfois si difficile.
La religion est un lien avec mon Ailleurs, une conception ouverte à toutes les religions, à toutes les cultures. La cuisine, les plats de notre Ailleurs, c'est encore une façon de vivre avec et de le transmettre à mes enfants. Sur la photo, je suis avec un petit tajine, le symbole du temps long du repas cuit doucement et partagé.
Je participe à la vie de mon quartier, de ma commune. Je suis une citoyenne investie au-delà des communautés. Moi, il me faut un mélange de tout pour avoir un équilibre. Mais j'ai peur que mes filles souffrent du fait de mon Ailleurs.
Au pays de mon Ailleurs, on ne déplace jamais les restes des corps. Pour ça je préfèrerais être dans la terre de mon Ailleurs mais mon père disait que toute terre appartient à Dieu. On verra.